Arrêt cardiorespiratoire précipité par un écrasement supraglottique de la sonde d’intubation en polyvinyle

Summary: 

Nous signalons le cas d’un homme de 55 ans qui a subi un arrêt cardiaque, précipité par le développement de l’écrasement aigu d’une sonde endotrachéale en polyvinyle. Il est estimé que le mécanisme physiologique se présente comme des pressions intrathoraciques rapides, soutenues et croissantes, avec une augmentation résultante de l’activité vagale, exacerbant le bloc bifasciculaire préexistant avec une progression vers un bloc atrioventriculaire complet. Bien que rare, l’occlusion de la sonde endotrachéale en polyvinyle causée par l’écrasement peut causer de profondes perturbations physiologiques et par conséquent, nécessite une identification rapide puis le rétablissement immédiat des voies respiratoires du (de la) patient(e).

Chère Réponse rapide,

Un homme de 55 ans avec des antécédents de bloc cardiaque bifasciculaire a subi une intubation orotrachéale sans problème à l’aide d’une sonde trachéale en polyvinyle Shiley de 7,5 millimètres (IOT) (Covidien LLC, Mansfield, MA) pour une chirurgie endoscopique programmée des sinus. La sonde a été fixée en position neutre à l’aide d’une bande de fixation en tissu et d’un support de sonde trachéale. L’entretien de l’anesthésie a été réalisé en associant du sevoflurane inhalé à 0,9 % à une perfusion continue de propofol à 100 microgrammes par kilogramme par minute et du remifentanil à 0,15 microgramme par kilogramme par minute. Le patient a été ventilé au moyen d’un système d’anesthésie Aisys CS² (GE Healthcare, Chicago, Ilinois) avec un mode de contrôle du volume paramétré à 450 millilitres de volume courant, une pression positive et expiratoire de 5 centimètres d’eau (cm H²O), une fréquence respiratoire de 12 et un rapport inspiratoire-expiratoire de 1:2 avec la limite de pression réglée à 40 cm H²O. 120 minutes après le début de la chirurgie, le patient a développé une hausse constante et aigüe de la pression de crête dans les voies aériennes de 33 cm H²0 à 62 cm H²0. Cette hausse de la pression a été suivie immédiatement de l’apparition d’un bloc auriculo-ventriculaire du troisième degré, aboutissant à un arrêt cardiaque. Une réanimation cardiorespiratoire a été pratiquée et le patient a fini par se stabiliser grâce à une perfusion d’adrénaline. La compliance pulmonaire après l’arrêt est restée médiocre, nécessitant une augmentation de la limite de pression afin que la pression de crête dans les voies aériennes se maintienne constamment au-dessus de 40 cm H²0, malgré une réduction du volume courant à 4 millilitres par kilogramme, la relaxation musculaire et la prolongation du temps d’inspiration. Il a été impossible de faire avancer un bronchoscope à travers la sonde d’intubation en raison d’une occlusion luminale quasi-complète causée par la déformation de la sonde (Figure A). Une vidéolaryngoscopie a, par la suite, permis de confirmer la présence d’un écrasement de la sonde au niveau du repère 19 centimètres (Figure B). Après l’échec de la progression d’une sonde respiratoire « 14 French » (Cook Medical, Bloomington, IN) en raison de l’occlusion luminale de l’ETT, le patient a été extubé puis a subi une réintubation émergente avec normalisation immédiate de la mécanique respiratoire.

Figure A : Évaluation bronchoscopique représentant l’obstruction supraglottique du tube endotrachéal en polyvinyle près du repère à 19 centimètres.<br /> Figure B : Photographie de la sonde endotrachéale en polyvinyle de 7,5 centimètres du patient après l’extubation avec un rétrécissement luminal à angle aigu visible au repère des 19 centimètres.

Figure A : Évaluation bronchoscopique représentant l’obstruction supraglottique du tube endotrachéal en polyvinyle près du repère à 19 centimètres.

Figure B : Photographie de la sonde endotrachéale en polyvinyle de 7,5 centimètres du patient après l’extubation avec un rétrécissement luminal à angle aigu visible au repère des 19 centimètres.

Les examens diagnostiques initiaux après l’arrêt étaient significatifs, avec une pression artérielle partielle élevée de dioxyde de carbone de 64 torrs, qui s’est rapidement normalisée après le remplacement de la sonde endotrachéale. Un électrocardiogramme a permis de documenter le rythme sinusal avec un bloc bifasciculaire. D’autre part, une échographie transoesophagienne a permis d’identifier une hypokinésie globale ventriculaire gauche, avec une fraction d’éjection estimée à 40 % et réduction légère à modérée de la fonction systolique ventriculaire droite. La radiographie pulmonaire n’a pas révélé de problèmes aigus. La troponine cardiaque était inférieure au seuil fixé pour l’ischémie myocardique. Les électrolytes étaient dans les limites normales à l’exception du calcium ionisé qui était bas à 3,75 milligrammes par décilitre.

Discussion

Une augmentation soudaine de la pression intrathoracique peut produire une hausse de l’activité vagale, qui entraîne à son tour une réduction de la conductance par l’intermédiaire du nœud atrioventriculaire.1,2 Ce processus est semblable du point de vue physiologique à l’utilisation d’une manœuvre de Valsalva pour mettre fin à une tachycardie supraventriculaire.² Chez ce patient, le mécanisme hypothétique est la génération d’une bradycardie médiée par le nerf vague, précipitée par une hausse soudaine de la pression intrathoracique, causant la progression du bloc bifasciculaire de ce patient en bloc atrioventriculaire du troisième degré. Même s’il est plausible que la rétention d’air secondaire à l’obstruction aigüe des voies expiratoires ait été la cause de cet évènement, l’absence de pause inspiratoire pour confirmer la présence d’une pression intrathoracique élevée empêche un diagnostic catégorique. En conséquence, il reste impossible d’établir les causes certaines de l’arrêt cardiaque étant donnée la multitude d’autres facteurs potentiellement contributifs, notamment la baisse du débit cardiaque, l’hypercapnie, l’hypocalcémie, le stress chirurgical, l’ischémie coronarienne, l’arythmie et l’administration concomitante d’un agent anesthésique volatil.

Les écrasements de l’ETT sont relativement rares, la majorité d’entre eux survenant à l’extérieur de l’oropharynx. Ils sont par conséquent facilement identifiables.³ Les ETT sont résistantes aux écrasements à température ambiante. Toutefois, une fois qu’elles ont chauffé avec la température du corps, il est possible que des écrasements surviennent à des angles brusques réduisant le passage.⁴ Il a été constaté que la voie de gonflage du ballonnet est un point de faiblesse potentielle, alors que d’autres signalements indiquent un écrasement à cet endroit avec des sondes endotrachéales Mallinckrodt (Tyco Healthcare)⁴ et Rusch (Teleflex)⁵. Les écrasements surviennent le plus souvent avec un coude dans le sens de la convexité de la sonde.⁵ Le premier signe d’un écrasement de la sonde endotrachéale peut être un changement des pressions de crête dans les voies aériennes ou la forme d’onde de la capnographie qui peut précéder le développement d’une hypercapnie et/ou d’une hypoxie. Le passage difficile d’une sonde d’aspiration souple peut susciter des soupçons d’occlusion. Dans notre cas, l’écrasement a été facilement identifié par bronchoscopie. Après l’évaluation de la difficulté de la réintubation et l’obtention d’un équipement d’assistance respiratoire de remplacement, y compris pour un abord chirurgical des voies aériennes, il est recommandé de remplacer rapidement la sonde endotrachéale écrasée. Les stratégies de prévention sont notamment l’insertion non traumatique et la sécurisation de la sonde d’intubation, tout en veillant à éviter un déplacement secondaire pendant le positionnement du (de la) patient(e) ou la chirurgie de l’oropharynx. Les méthodes permettant d’atténuer des perturbations physiologiques cliniquement significatives incluent notamment l’identification rapide de l’occlusion de la sonde d’intubation, afin de faciliter son remplacement rapide avant la survenue d’un collapsus pulmonaire ou cardiovasculaire. Si le scénario chirurgical nécessite de retirer la sonde d’intubation à angle aigu, il convient d’envisager de la remplacer par une sonde préformée type Ring-Adair-Elwyn (RAE) ou une sonde armée, bien que cette dernière soit associée au risque potentiel d’occlusion permanente en cas d’écrasement, en lien avec la nature renforcée de cette conception. En outre, en cas d’inquiétude relative à une sonde d’intubation dont l’écrasement est soupçonné ou avéré, il conviendra d’utiliser les mécanismes de signalement des incidents de l’établissement et, le cas échéant, de demander une évaluation par le fabricant ou d’entamer un échange par correspondance.

 

Troy Seelhammer, MD, est professeur adjoint d’anesthésiologie à la Mayo Clinic, Rochester, Minnesota.

Robert White, MD, est interne du Département d’anesthésiologie à la Mayo Clinic, Rochester, Minnesota.

Roger Hofer, MD, est professeur adjoint d’anesthésiologie à la Mayo Clinic, Rochester, Minnesota.


Les auteurs ne signalent aucun conflit d’intérêts.


Documents de référence

  1. Alboni P, Holz A, Brignole M. Vagally mediated atrioventricular block: pathophysiology and diagnosis. Heart (British Cardiac Society). 2013;99:904–908.
  2. Wong LF, Taylor DM, Bailey M. Vagal response varies with Valsalva maneuver technique: a repeated-measures clinical trial in healthy subjects. Ann Emerg Med. 2004;43:477–482..
  3. Szekely SM, Webb RK, Williamson JA, Russell WJ. The Australian Incident Monitoring Study. Problems related to the endotracheal tube: an analysis of 2000 incident reports. Anaesth Intensive Care. 1993;21:611–616.
  4. Hübler M, Petrasch F. Intraoperative kinking of polyvinyl endotracheal tubes. Anesth Analg. 2006;103:1601–1602.
  5. Hariharan U, Garg R, Sood R, Goel S. Intraoperative kinking of the intraoral portion of an endotracheal tube. J Anaesthesiol Clin Pharmacol. 2011;27:290–291.

 

En réponse :

Nous vous remercions d’avoir demandé une réponse de Medtronic à propos de l’article des Drs Seelhammer, White et Hofer, intitulé « Arrêt cardiorespiratoire précipité par un écrasement supraglottique du tube endotrachéal en polyvinyle », publié dans le Bulletin d’information de l’APSF.

Dans le cadre de l’évaluation de la question soulevée par l’article, les cadres des équipes de conception, sécurité, vigilance après commercialisation et marketing des interventions respiratoires de Medtronic, ainsi que le représentant de la société et moi-même avons rencontré les auteurs. Nous avions pour objectif de répondre aux inquiétudes exprimées par les auteurs, de mieux comprendre l’évènement et de déterminer s’il était survenu en raison d’un défaut de conception du produit. Cette lettre est un résumé de notre discussion avec les auteurs, que nous avons l’honneur de vous présenter en réponse, ainsi qu’aux auteurs.

Contexte

Les auteurs décrivent un cas d’occlusion émergente de la sonde endotrachéale confirmée par bronchoscopie, suivie d’un arrêt cardiaque, sous anesthésie. Les auteurs font également référence à d’autres cas signalés où l’écrasement est survenu au point d’entrée de la voie de gonflage du ballonnet (qui n’est pas le point où l’écrasement est survenu dans le cas en question) et posent la question de savoir si les efforts visant à prévenir une récidive de cet évènement pourraient inclure une modification de la conception de la sonde d’intubation. La sonde n’a pas été retournée à Medtronic pour examen mais une photo de celle concernée nous a été fournie. Ces photos montrent que l’écrasement est survenu sous (à proximité) et à un point à l’opposé de la voie de gonflage, à son point d’entrée dans la sonde (ce qui est visible sur la photo). Les auteurs n’ont pas expliqué comment ils avaient conclu que l’écrasement était dû à un défaut de conception et n’ont pas non plus discuté la manière dont ils avaient éliminé d’autres causes possibles. Cet évènement a été présenté à Medtronic uniquement dans le cadre d’une réclamation formelle et cette discussion fera partie de la réponse à celle-ci.

Incidents signalés

Notre équipe de vigilance après commercialisation a confirmé qu’entre novembre 2018 et octobre 2020, Medtronic a vendu environ 11,2 millions de sondes endotrachéales Shiley™. Le nombre de réclamations est de 0,7 par million de sondes vendues pendant la même période.

Discussion relative à la conception

La question du potentiel d’écrasement de la voie de gonflage du ballonnet soulevée par les auteurs est à l’origine de ce courrier de réponse. Toutes les sondes endotrachéales Shiley™ sont conçues et testées pour être conformes aux exigences de la norme internationale ISO-5361, qui fournit les obligations et les consignes pour s’assurer que les produits sont conçus pour être à la pointe de la technique et satisfaire les attentes en termes de sécurité et de performance. La norme prévoit des exigences spécifiques concernant les dimensions et les caractéristiques de la sonde, ainsi que les méthodes spécifiques pour les méthodes d’essai, qui incluent un essai avec un traceur de courbe/à billes pour mesurer la résistance de chaque sonde aux écrasements ou à la compression.

Résultat et récapitulatif

Nous avons eu une discussion fructueuse avec Troy Seelhammer, MD, concernant les détails de cette réclamation, en particulier au sujet de l’état de la sonde avant son insertion, du positionnement chirurgical et d’autres évènements possibles pendant l’intervention, qui auraient pu causer l’écrasement. D’après cette discussion, les preuves photographiques fournies et la réclamation documentée déposée par les auteurs, nous avons la certitude que l’écrasement n’a pas été causé par un défaut de conception et qu’aucune modification de la conception n’est nécessaire.

La Mission Medtronic nous guide afin que nous nous efforcions sans réserve à assurer la plus grande fiabilité et la meilleure qualité possibles de nos produits. Afin d’atteindre cet objectif, nous nous fions totalement à des médecins tels que les auteurs de cet article et à des organismes tels que l’APSF, pour veiller à rester fidèles à cette déclaration. Nous souhaitons donc saisir cette occasion pour demander que, si des évènements indésirables surviennent avec un quelconque produit Medtronic, et si les directives relatives à la COVID-19 ou d’autres directives ne l’interdisent pas, le produit en question (ou un produit du même lot) nous soit restitué. Cela serait extrêmement utile dans le cadre de l’enquête menée au titre des réclamations déposées.

N’hésitez pas à nous contacter si vous avez d’autres questions ou préoccupations.

Cordialement,

 

Karen A. Phillips, MD, FCA, MBA
Bureau du médecin chef, Interventions respiratoires
Consultante en anesthésiologie et réanimation

Medtronic
Respiratory Interventions Operating Unit

2101 Faraday Ave
Carlsbad, CA 92008
États-Unis
www.medtronic.com

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