La simulation est un outil essentiel d’amélioration de la sécurité des patients, disponible pour tous, indépendamment de l’environnement et des moyens

David M. Gaba, MD
Summary: 

La simulation est une technique essentielle pour aborder les questions de sécurité des patients. Nous devons réfléchir à ses avantages sur le long terme, en tant qu’activité pour tous les cliniciens et tout au long de leur carrière. Les techniques n’étant pas nécessairement dépendantes de technologies coûteuses, elles peuvent être utilisées dans des environnements cliniques très variés, que les ressources soient importantes ou modestes. On constate un recours croissant à la simulation, du fait du bénéfice de l’expérience directe ressentie par les cliniciens plutôt que de preuves définitives de son impact (plus difficile à saisir) ou d’un quelconque facteur règlementaire. Il n’a pas été nécessaire de compter le nombre de vies sauvées afin de convaincre de nombreux établissements d’adopter ces techniques. Il existe un proverbe cité à la fois dans le Talmud et dans le Coran : « Qui sauve une seule vie, sauve l’humanité toute entière ». À partir des récits et des preuves existantes, nous pouvons affirmer avec confiance que de nombreux cœurs, cerveaux ou vies ont été sauvés directement ou indirectement par l’utilisation de la simulation. C’est cet esprit qui motive de nombreux anesthésistes et des professionnels d’autres disciplines de santé à poursuivre leurs efforts pour développer l’utilisation de ces techniques et les exploiter au maximum de leurs possibilités.

La sécurité des patients résulte de l’utilisation de l’ensemble des moyens disponibles pour éviter de porter atteinte aux patients en essayant de les guérir ou de les aider au sein d’un système de santé. La simulation, définie comme une « technique et non pas une technologie » 1 immersive et interactive de (re)création d’expériences réelles, est un outil essentiel utilisé pour améliorer la sécurité des patients.1,2 La simulation présente de nombreux avantages, notamment celui de permettre des choses impossibles dans la vie réelle. Elle ne fait courir aucun risque aux patients et, contrairement à l’enseignement clinique classique, elle ne génère pas de pression associée à la recherche d’efficience. On peut suspendre, arrêter et redémarrer une séance de simulation comme on le souhaite. Le point essential est probablement que les erreurs réalisées en simulation surviennent et peuvent se poursuivre jusqu’au bout de leurs conséquences, alors qu’avec un patient réel, d’autres professionnels peuvent intervenir pour protéger le patient.

De nombreuses personnes pensent que la simulation impose le recours à la technologie informatique et à la robotique. En réalité, il s’agit d’une technique ancienne soutenue par la capacité innée de l’être humain à se souvenir d’évènements passés et à imaginer des évènements qui ne sont pas encore survenus. Ainsi, plusieurs activités mentales nécessitant peu, voire aucune technologie, sont en fait des « simulations ». Tout le monde peut y recourir, quel que soit le lieu, les moyens ou les compétences technologiques.

Voici cinq types de simulation non technologique :

  • Le récit : les cliniciens ont toujours raconté des histoires à propos de leurs dossiers difficiles. Quand une personne entend un tel récit, elle peut se demander : « que ferais-je si j’étais confronté(e) à la situation décrite ? »
  • La simulation verbale (« analyse d’hypothèses ») : Une personne peut présenter une situation (réelle, fictive ou les deux) à une autre personne, en posant des questions pour décrire ses propres pensées et actions. Souvent, ce processus est plus systématique qu’un simple récit.
  • Le jeu de rôles : c’est le cas lorsqu’une personne « assume le rôle » d’une autre, parfois dans une situation insolite. Le jeu de rôles permet de pratiquer une réflexion et une communication réelles avec les autres.
  • Les rencontres avec des acteurs patients (standardisés) : le rôle du patient (de la patiente) (ou du membre de la famille, ou d’autres) est joué par un acteur (une actrice). Le « patient standardisé » est un professionnel spécialement formé, dont l’expérience et la formation lui permettent d’interpréter divers personnages et personnalités. D’autre part, ces personnes peuvent être formées pour évaluer ou noter le clinicien par rapport à certaines compétences médicales ou interpersonnelles démontrées pendant la rencontre.
  • La formation procédurale à l’aide d’aliments : Pour de nombreuses procédures cliniques, les aliments peuvent constituer un excellent simulateur, qu’il s’agisse de la partie d’un animal reproduisant l’anatomie humaine, ou parfois d’un simple produit alimentaire présentant des caractéristiques intéressantes. Il s’agirait par exemple d’utiliser une pastèque pour aider à former des novices au positionnement d’un cathéter péridural (la peau de la pastèque reproduit la fermeté du ligament jaune et présente une excellente perte de résistance une fois percée.)

Certaines modalités de simulation peuvent être améliorées en les associant à une petite dose de technologie. Les simulations verbales peuvent être améliorées en montrant des schémas ou des photos des signes vitaux ou de l’anatomie du patient sur écran. Certaines applications de smartphone, peu onéreuses, peuvent permettre de reproduire sur un écran diverses courbes, dont les valeurs peuvent être modifiées par une application identique sur un autre téléphone.

DIFFÉRENTES FORMES DE SIMULATION TECHNOLOGIQUE

Une simulation exclusivement verbale peut ne pas correspondre à la complexité de la prise en charge (anesthésique) réelle des patients. Bien entendu, aucune simulation n’est effectuée avec des acteurs ou des étudiants qui acceptent d’être anesthésiés uniquement à des fins éducatives. Par conséquent, il existe des « technologies » simples (par ex. mannequin, application de monitoring) qui ont été très utiles dans des environnements disposant de peu de ressources. Il existe quelques exemples, dont le programme intitulé « Helping Babies Breathe », qui utilise un mannequin très simple (Laerdal Medical, Inc., Stavanger, Norvège). Il s’agit essentiellement d’une simple tête pouvant être ventilée, dont le « corps » est composé d’un sac spécial en plastique qui, une fois rempli d’eau tiède, se gonfle pour prendre l’aspect du thorax, de l’abdomen et des membres d’un nourrisson (https://www.aap.org/en-us/advocacy-and-policy/aap-health-initiatives/helping-babies-survive/Pages/Helping-Babies-Breathe.aspx). Une extension de cette technologie simple est utilisée pour simuler une hémorragie du post partum. Elle est composée d’une « poche » de grossesse, pouvant être portée par la personne jouant le rôle de la mère. Ces deux dispositifs simples et peu coûteux sont également fournis avec un programme. Ils ont généralement pour cible les sages-femmes locales. Plus sophistiqués, mais toujours relativement simples, des dispositifs peuvent être appropriés au personnel hospitalier dans un cadre où les ressources sont limitées.

Pour ceux qui disposent de plus de ressources, il existe divers simulateurs basés sur des mannequins et des dispositifs d’entraînement de complexités variées. Un nouvel ensemble intéressant de modalités de simulation technologique commence tout juste à émerger, offrant des formes de « réalité virtuelle » (RV), simples ou complexes. Dans une autre approche, un « monde virtuel » en ligne est créé sur l’écran de l’ordinateur, recréant un environnement clinique. Le participant principal de la simulation contrôle un « avatar » à l’écran, qui peut interagir avec un patient, administrer des médicaments et utiliser des consommables et des équipements. Actuellement, l’un de ces systèmes les plus avancés, SimSTAT™ (https://www.asahq.org/education-and-career/educational-and-cme-offerings/simulation-education/anesthesia-simstat) a été développé pour l’American Society of Anesthesiologists (ASA), qui le propose aux anesthésistes, moyennant paiement. Une approche de RV plus complexe utilise des écrans et des systèmes audio montés sur une tête et des commandes manuelles pour produire un environnement de soins au patient en immersion totale, entièrement interactif, pour plusieurs participants. Les systèmes de ce type commencent à peine à être disponibles sur le marché et à être utilisés par les enseignants pour la simulation clinique.

La simulation concerne l’ensemble des domaines de la santé, en particulier les domaines extrêmement dynamiques tels que l’anesthésiologie, les soins intensifs, la médecine d’urgence et la néonatologie. La cible de la simulation est souvent un personnel expérimenté, impliquant des équipes composées de membres de nombreuses disciplines, voire des équipes complètes. Dans ce cadre, les objectifs de la simulation sont, en règle générale, centrés seulement en partie sur les aspects médicaux et techniques de la prise en charge des patients. En fait, elle cible principalement la prise de décision dynamique, notamment la « gestion des ressources d’équipe », le travail d’équipe, les questions d’éthique et la communication, y compris les entretiens difficiles avec les patients ou les familles.

LA SIMULATION A PLUSIEURS OBJECTIFS

L’utilisation de la simulation à des fins d’éducation et de formation semble évidente. Elle peut cependant être aussi utilisée à des fins variées, abordant la sécurité du patient de diverses façons. Il s’agit notamment de la simulation de la gestion de la qualité et des risques, permettant de comprendre, de façon prospective et rétrospective, quels sont les facteurs qui ont contribué à une issue défavorable.1,2 La simulation est utilisée dans ce domaine pour comprendre quels « facteurs humains » affectent la capacité des cliniciens à travailler efficacement et comment il serait possible d’améliorer les processus de soin. La simulation peut également servir à concevoir de nouveaux équipements médicaux, afin de faciliter et de sécuriser leur utilisation ; les instances réglementaires réclament de plus en plus des données issues de simulations réalistes, démontrant que la conception résiste bien, même dans des situations stressantes, où chaque seconde compte. La simulation peut jouer un rôle dans l’évaluation des performances par les cliniciens. Ce sujet est extrêmement complexe et un domaine où la recherche se poursuit.1,2

L’une des utilisations importantes de la simulation dans un but d’amélioration de la qualité et de la sécurité est la réalisation de simulations « in situ », autrement dit « sur place », dans la chambre ou le lit d’un patient réel, un bloc opératoire, etc. (ou le cas échéant, « peri-situ » par rapport au lieu d’exercice clinique, mais dans une salle de conférence ou un couloir).1 Ces simulations constituent un réel défi pour les prestataires dans leur environnement de travail réel, en utilisant des équipements réels associés aux pratiques de soins cliniques courantes. Le but est d’identifier ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas (« étude des systèmes »).1,2

Une précaution dans la réalisation des simulations « in situ » est qu’il n’est pas approprié de « noter » secrètement un participant pendant une « séance de formation ». Autrement dit, les participants doivent être informés quand ils sont évalués. Le non-respect de cette règle peut briser le lien de confiance nécessaire pour permettre aux cliniciens de participer pleinement à la formation via la simulation.3

LA SIMULATION PERMET-ELLE D’AMÉLIORER LA SÉCURITÉ DES PATIENTS ?

Des preuves assez solides indiquent que l’utilisation de la simulation intégrée dans un ensemble plus large d’éléments ciblant la canulation veineuse centrale peut améliorer le pronostic des patients.4,5 Il s’agit toutefois d’un domaine de pratiques ciblé, associé à une tâche relativement simple, qui survient dans un contexte où les évolutions pronostiques sont bien connues et déjà évaluées de manière régulière. Les avantages de la simulation n’ont pas été démontrés avec le même niveau de preuves, car de nombreux problèmes de sécurité peu courants, impliquent des processus de soin complexes, intégrant de nombreux facteurs confondants et rendant difficile l’établissement d’un lien entre le travail des cliniciens et le pronostic final des patients. Nous pourrions concevoir des études afin d’évaluer la simulation dans ces situations plus complexes, cependant il faudrait une dizaine d’années, voire plus, pour les réaliser, avec des milliers de cliniciens, de patients et d’importantes ressources financières. Jusqu’à présent, la plupart des programmes de simulation ont été :

  • peu fréquemment appliqués ;
  • souvent avec des programmes d’une intensité relativement faible ;
  • associés à peu de renforcement dans la pratique réelle ;
  • sans être associés à une évaluation des performances des cliniciens ou des systèmes ;
  • dans seulement quelques disciplines/domaines (l’anesthésiologie en fait partie, mais moins de 30 % des anesthésistes en activité ont déjà participé à un programme de simulation conséquent, en dehors de l’ACLS)* ;
  • avec des études de faible envergure et se déroulant sur des périodes relativement courtes (jours, semaines, mois).

CONCLUSION

La simulation est une technique essentielle pour aborder les questions de sécurité des patients. Nous devons réfléchir à ses avantages sur le long terme, en tant qu’activité pour tous les cliniciens et tout au long de leur carrière. Les techniques n’étant pas nécessairement dépendantes de technologies coûteuses, elles peuvent être utilisées dans des environnements cliniques très variés, que les ressources soient importantes ou modestes. On constate un recours croissant à la simulation, du fait du bénéfice de l’expérience directe ressentie par les cliniciens plutôt que de preuves définitives de son impact (plus difficile à saisir) ou d’un quelconque facteur règlementaire. Il n’a pas été nécessaire de compter le nombre de vies sauvées afin de convaincre de nombreux établissements d’adopter ces techniques. Il existe un proverbe cité à la fois dans le Talmud et dans le Coran : « Qui sauve une seule vie, sauve l’humanité toute entière ». À partir des récits et des preuves existantes, nous pouvons affirmer avec confiance que de nombreux cœurs, cerveaux ou vies ont été sauvés directement ou indirectement par l’utilisation de la simulation. C’est cet esprit qui motive de nombreux anesthésistes et des professionnels d’autres disciplines de santé à poursuivre leurs efforts pour développer l’utilisation de ces techniques et les exploiter au maximum de leurs possibilités.

 

Adaptation par l’auteur de sa présentation au Forum international sur la sécurité et la qualité peropératoires, le 12 octobre 2018, à San Francisco, en Californie.

Le Dr Gaba est doyen associé de l’Apprentissage en immersion et basé sur la simulation et professeur d’anesthésiologie, médecine de la douleur peropératoire à la Stanford School of Medicine. Il est également anesthésiste, fondateur et co-directeur du Patient Simulation Center du VA Palo Alto Health Care System.


Les informations qu’il a fournies concernant cet article sont les suivantes :

  1. Le Dr Gaba a perçu des honoraires annuels de la part de la Society for Simulation in Healthcare en sa qualité de rédacteur en chef fondateur de la revue évaluée par des pairs, Simulation in Healthcare.
  2. Le Dr Gaba a perçu des honoraires annuels de la part de l’ASA en sa qualité de membre du Comité rédactionnel sur la simulation.
  3. Le Dr Gaba perçoit des droits d’auteur sur la vente d’un manuel intitulé Gestion de crise en anesthésie.

DOCUMENTS DE RÉFÉRENCE

  1. Gaba DM. The future vision of simulation in healthcare. Simul Healthc. 2007;2;126.
  2. Rall M, Gaba D, Dieckmann P, Eich C. Patient simulation. Miller’s Anesthesia (8th edition). Edited by Miller R. Philadelphia, Saunders, an imprint of Elsevier Inc., 2014.
  3. Gaba DM: Simulations that are challenging to the psyche of participants: how much should we worry and about what? Simul Healthc. 2013;8;4–7.
  4. Barsuk JH, McGaghie WC, Cohen ER, et al. Simulation-based mastery learning reduces complications during central venous catheter insertion in a medical intensive care unit. Crit Care Med. 2009;37;2697–2701.
  5. Barsuk JH, Cohen ER, Potts S, et al. Dissemination of a simulation-based mastery learning intervention reduces central line-associated bloodstream infections. BMJ Qual Saf. 2014;23;749–56.

*Personal communication with author, unpublished data.