L’importance de la surveillance de la fraction expirée des agents anesthésiques comme norme des soins

James H. Philip ME(E), MD, CCE, FACA, DABA, FASA; Jan Hendrickx, MD, PhD

Dans certains pays, la surveillance de l’anesthésique est une norme de soin écrite, alors que dans d’autres pays, elle n’est même pas mentionnée.1 La plupart des anesthésistes utilisent un système de surveillance de l’anesthésie, permettant de mesurer les concentrations dans leur pratique quotidienne et dans la majorité des pays, c’est devenu une norme de soin de facto.2 Ainsi, bien que largement adoptée dans le cadre de la prise en charge du patient, la surveillance de la fraction d’anesthésique volatil expiré n’est pas considérée comme étant aussi importante que d’autres modalités de surveillance adoptées en tant que norme, telles que celles qui concernent les divers éléments de l’oxygénation, de la ventilation et de la perfusion, qui sont plutôt harmonisées à travers le monde.1 Cependant les anesthésistes induisent et gèrent certains états comportementaux, notamment l’inconscience et l’immobilité. Les patients s’attendent à être endormis et prévenir la conscience sous anesthésie générale est un impératif important en termes de sécurité. Bien que l’absence de conscience soit un élément essentiel de l’anesthésie, la surveillance de l’état hypnotique n’est pas nécessairement abordée par les normes, en raison de la controverse concernant la fiabilité de la technologie.3 En utilisant des anesthésiques par inhalation, nous avons la capacité de surveiller la fraction inspirée et expirée des agents anesthésiques, afin de nous aider à garantir l’absence de conscience. Nous pensons que la surveillance de la concentration des agents anesthésiques fournit suffisamment d’information pour permettre aux anesthésistes de prévenir la conscience et qu’elle devrait être adoptée universellement comme norme de soin.

Trois propriétés des agents inhalés fournissent la justification de la surveillance de la fraction expirée : la courbe abrupte de la relation dose-effet des anesthésiques volatils4,5 ; le faible effet des opioïdes sur cette relation (seulement 10 à 15 % de réduction de la concentration alvéolaire minimale (CAM) chez le sujet éveillé, le niveau d’anesthésique moyen pour que les patients réagissent à une commande verbale)6 ; et la facilité de mesure continue de leur concentration. La concentration de l’agent en fin d’expiration est un bon indicateur de la probabilité que le patient soit inconscient8 après avoir pris en compte le léger laps de temps nécessaire pour que la pression partielle cérébrale s’équilibre avec la tension artérielle et celle des alvéoles.8-12 Avec une concentration de fraction expirée de 0,7 CAM, la conscience est extrêmement improbable.13,14

Par conséquent, pourquoi continue-t-on à administrer l’anesthésie sans surveillance de la fraction expirée ? Un anesthésiste ne disposant pas de monitorage de la fraction expirée pourrait titrer le débit de l’évaporateur de gaz de manière à maintenir des signes vitaux stables, comme la tension artérielle et le rythme cardiaque. En règle générale, on reconnaît le sous-dosage de l’anesthésique volatil par une augmentation du rythme cardiaque ou de la tension artérielle en réponse au stimulus chirurgical et, dans les cas où le patient n’est pas curarisé, par des mouvements. Mais sans mesure de la pression partielle de l’agent anesthésique dans le corps, indiquée par la concentration des fractions expirées, l’étiologie de l’évolution des signes vitaux est moins évidente et peut avoir pour conséquence un diagnostic et un traitement faussés, notamment l’utilisation inutile de vasopresseurs ou l’administration excessive de fluides. En outre, les signes cliniques en soi ne sont pas des indicateurs fiables de l’état hypnotique, en particulier chez des patients qui prennent des médicaments sympatholytiques.

Il existe des raisons plus convaincantes en faveur de l’utilisation de la surveillance de la fraction expirée. Oublier de mettre l’évaporateur de gaz en service ou ne pas remarquer qu’il est vide peut entraîner une période de conscience qui passe inaperçue, en particulier chez un patient auquel on a administré un curare. En prime, la concentration sélectionnée sur l’évaporateur de gaz peut ne pas correspondre aux concentrations des agents en fin d’expiration, exposant le patient au risque de sur ou sous dosage. Les efforts visant à réduire le débit de gaz afin de diminuer les déchets et la pollution environnementale contribuent également à aggraver le problème de la gestion de la relation entre la concentration alvéolaire administrée et réelle. Le maintien d’une fraction expirée constante, et par conséquent de la profondeur de l’anesthésie, peut nécessiter de régler l’évaporateur de gaz bien au-dessus des concentrations souhaitées à l’inspiration et en fin d’expiration. Plus le débit de gaz frais est réduit, plus la différence entre l’évaporateur de gaz et les concentrations d’agents inspirés est grande et cette différence n’est apparente qu’en utilisant un moniteur des agents anesthésiques.

Étant donnée la technologie disponible pour mesurer la fraction expirée, ainsi que la relation bien documentée entre la fraction expirée et le risque de conscience, nous pensons que l’utilisation de la surveillance de la fraction expirée devrait être une norme de soin officielle pour toutes les organisations professionnelles associées à l’anesthésie.

 

Le Dr Philip est consultant spécialisé en anesthésiologie et directeur de Biotechnologie clinique de l’anesthésie, Brigham and Women’s Hospital, et professeur d’anesthésie, Harvard Medical School.

Le Dr Hendrickx est anesthésiste à l’OLV Hôpital, Aais, Belgique.


Le Dr Philip a perçu des honoraires de Getinge et GE. Le Dr Hendrickx a bénéficié d’une aide pour ses conférences, du remboursement de ses frais de voyage, de prêts d’équipements, d’honoraires de consultant et d’une aide pour l’organisation de réunions de la part d’AbbVie, d’Acertys, d’Air Liquide, d’Allied Healthcare, d’Armstrong Medical, de Baxter, de Dräger, de GE, de Getinge, d’Hospithera, d’Heinen & Lowenstein, d’Intersurgical, de Maquet, de MDMS, de MEDEC, de Micropore, de Molecular, de NWS, de Philips, de Piramal et de Quantium Medical.


Documents de référence

  1. Hendrickx JFA. Anesthetic monitoring recommendations: how consistent are they across the globe? APSF Newsletter. 2019;34:34.
  2. Anesthesia Gas Monitoring: Evolution of a de facto Standard of Care. ProMed Strategies for Masimo Phasein: Sweden. 2009.
  3. Jin Z, Feldman J, Gan T. Depth of anesthesia monitoring—why not a standard of care? APSF Newsletter. 2019;34:43–44.
  4. Sani O, Shafer SL. MAC attack? Anesthesiology. 2003;99:1249–1250.
  5. Dilger JP. From individual to population: the minimum alveolar concentration curve. Curr Opin Anaesthesiol. 2006;19:390–396.
  6. Katoh T, Ikeda K. The effects of fentanyl on sevoflurane requirements for loss of consciousness and skin incision. Anesthesiology. 1998;88:18–24.
  7. Sonner JM. Issues in the design and interpretation of minimum alveolar anesthetic concentration (MAC) studies. Anesth Analg. 2002;95:609–614.
  8. Kety, SS. The physiological and physical factors governing the uptake of anesthetic gases by the body. Anesthesiology. 1950;11:5:517–526.
  9. Kety, SS. The theory and applications of the exchange of inert gas at the lungs and tissues. Pharmacol Rev. 1951;3:1– 10.
  10. Merkel G, Eger EI II. A comparative study of halothane and halopropane anesthesia including method for determining equipotency. Anesthesiology. 1963;24:3:346–357.
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  12. Eger EI II. A brief history of the origin of minimum alveolar concentration (MAC). Anesthesiology. 2002;96:238–-239.
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