L’initiative du centre de soins chirurgicaux (Perioperative Surgical Home) permet de réduire le taux d’incidence de l’insuffisance rénale aiguë à la suite d’une arthroplastie totale

Aldo Carmona, MD; Christopher Roscher, MD; Daniel Herman, MD; Robert Gayner, MD; Ajith Malige, MD; Brian Banas
Summary: 

Il est possible d’éliminer l’AKI après une arthroplastie totale. Une initiative du PSH animée par des anesthésistes a permis une réduction durable d’une complication postopératoire significative.

Centre de soins chirurgicauxL’American Society of Anesthesiologists (ASA) définit un centre de soins chirurgicaux (PSH) comme un « modèle de soins fondé sur une équipe, créé par des leaders de l’ASA pour contribuer à répondre aux demandes d’un modèle de soins de santé qui arrive à grand pas et qui mettra l’accent sur la gratification des soignants, l’amélioration de la santé de la population, la réduction du coût des soins et la satisfaction des patients. » Le modèle de soins PSH a été utilisé par une équipe du Réseau de soins de l’Université de Saint Luke pour réduire l’incidence d’insuffisance rénale aiguë (AKI) après une arthroplastie total (TJA) élective.

L’AKI est une complication connue après une arthroplastie totale. Les taux signalés dans les publications varient de 2 à 15 % pour les procédures électives.1 Les signalements d’AKI pourraient être inférieurs à la réalité en raison de plusieurs facteurs. L’absence de la mesure de la créatinine le premier jour après l’intervention, la mesure non systématique de la production d’urine après l’intervention, le manque de reconnaissance d’une AKI selon les critères KDIGO2,3 et les différences institutionnelles en termes de codage pourraient contribuer globalement à un sous-signalement. Un épisode d’AKI après une intervention peut avoir des implications à court et long termes pour les patients4 et entraîner une hausse des coûts pour le système de santé.5,6

En 2016, une initiative menée par le PSH visant à réduire l’hypotension et l’AKI chez nos patients subissant une TJA élective a été lancée. Une équipe multidisciplinaire composée d’anesthésistes, de néphrologues, de chirurgiens orthopédistes, de médecins hospitaliers en médecine interne, d’ֽinfirmiers, d’analystes EPIC et d’un spécialiste des ressources de qualité a été réunie. Un protocole a été développé et mis en œuvre avec les éléments suivants (Tableau 1) :

  • Dépistage des patients dans notre SOC (Centre d’optimisation chirurgicale)
  • Ajustement des médicaments (ACE/ARA/AINS, diurétiques) et remplacement standardisé des pertes liquidiennes dans le cadre de l’intervention
  • Gestion standardisée de l’anesthésie via le protocole ERAS
  • L’arrêt des médicaments contre l’hypertension si la TA systolique < 130
  • La mise en œuvre d’un protocole déterminé par les infirmiers pour la gestion liquidienne afin de permettre le traitement de l’hypotension après l’intervention (Tableau 2)

Tableau 1 : Évaluation du risque d’AKI du centre d’optimisation chirurgicale

Tableau 1 : Évaluation du risque d’AKI du centre d’optimisation chirurgicale

Tableau 2 : Récapitulatif du protocole infirmier pour l’hypotension postopératoire

Tableau 2 : Récapitulatif du protocole infirmier pour l’hypotension postopératoire

Tous les patients subissant une TJA ont été inclus (Tableau 3). Aucune exception n’a été faite pour les patients souffrant d’une affection rénale préexistante ou subissant une chirurgie de révision. L’hypotension a baissé de 12,7 % à 5,9 % et l’AKI de 6,2 % à 1,2 %. Des détails plus complets de l’initiative de notre PSH ont été publiés dans The Journal of Arthroplasty en juin 2018.7

Tableau 3 : Caractéristiques des patients pour l’initiative du centre de soins chirurgicaux visant à réduire le taux d’incidence de l’insuffisance rénale aiguë à la suite d’une arthroplastie totale

Tableau 3 : Caractéristiques des patients pour l’initiative du centre de soins chirurgicaux visant à réduire le taux d’incidence de l’insuffisance rénale aiguë à la suite d’une arthroplastie totale

Depuis cette publication, d’autres améliorations ont été apportées au protocole. À savoir :

  • Une plus grande attention préopératoire apportée aux patients à haut risque, avec une consultation de néphrologie préopératoire pour les patients avec un DFG < 45 mL/min et l’ajout d’une légère hydratation intraveineuse avant la procédure si nécessaire
  • L’ajout du monitorage postopératoire continu des signes vitaux, notamment l’oxymétrie continue et le recueil automatisé des signes vitaux et la saisie en temps réel dans le dossier médical électronique (DME) au moyen de la technologie Masimo Root and Patient SafetyNet Technology (Irvine, Californie).
  • Une utilisation plus complète du DME pour améliorer le respect des protocoles, ainsi que le dépistage précoce d’anormalités significatives des signes vitaux (c.-à-d. l’utilisation « d’alarmes intelligentes », l’amélioration de la résolution des systèmes de score d’avertissement précoce via la mise à jour du DME grâce au monitorage des signes vitaux en temps réel)

Après avoir fait la preuve du succès et de la durabilité dans un centre, le protocole a été élargi aux autres hôpitaux du réseau réalisant des TJA. Les procédures ont ainsi été réalisées par 21 chirurgiens supplémentaires dans neuf hôpitaux. Après l’élargissement du réseau, des baisses semblables de l’AKI péropératoire par rapport au taux de référence ont été constatées (de 5,9 % à 0,6 %) (Figure 1).

Figure 1 : Évolution de la fréquence de l’hypotension péropératoire et de l’AKI avant et pendant les 2 phases de l’initiative du PSH.

Figure 1 : Évolution de la fréquence de l’hypotension péropératoire et de l’AKI avant et pendant les 2 phases de l’initiative du PSH.

Globalement, la durée du séjour à cette période a diminué de 2,75 jours à 2,12 jours (p< 0,01). Le taux de mortalité est resté inchangé et les réadmissions à 30 jours ont baissé de 3,8 à 3,2 %, une tendance qui n’a pas atteint une signification statistique.

À la date de la présente publication, dans notre hôpital universitaire, nous avons eu un seul cas d’AKI depuis novembre 2018 sur 1210 procédures consécutives (en incluant toutes les affections rénales primaires, de révision ou antérieures), selon les critères KDIGO.

En résumé, une approche multidisciplinaire du modèle du PSH a permis d’obtenir une réduction durable d’une complication significative après une procédure chirurgicale élective. Elle a également permis une plus grande sensibilisation concernant l’importance d’un meilleur monitorage des signes vitaux et de la prévention de l’hypotension dans le cadre périopératoire. Des éléments de plus en plus nombreux suggèrent que l’hypotension périopératoire est à la fois courante et sous-diagnostiquée. L’AKI post-opératoire peut être un marqueur d’hypoperfusion générale et on a également signalé une troponine cardiaque élevée chez les patients subissant une TJA.8 D’autre part, l’hypotension est un facteur de risque important des lésions myocardiales périopératoires après une chirurgie non cardiaque, qui a été associée à de plus mauvais résultats périopératoires.9 Il est plausible que la prise en charge des patients puisse encore être améliorée en élargissant le monitorage des signes vitaux en temps réel à d’autres populations de patients présentant un risque accru d’hypotension et d’AKI périopératoires.10,11 Enfin, bien que des anesthésistes en aient été à l’origine, la nature collaborative et multidisciplinaire de ce projet a été essentielle à sa réussite. Il aurait été impossible d’obtenir ces résultats ni de les faire perdurer sans la participation et la collaboration de nos collègues médecins et non médecins. C’est la caractéristique d’un centre de soins chirurgicaux mature et un modèle pour de futurs projets d’amélioration pour les patients.

 

Aldo Carmona, MD, est chef du département d’anesthésie et vice-président senior de l’intégration clinique à l’hôpital universitaire St Luke, Bethlehem, Pennsylvanie.

Christopher Roscher, MD, est chef de service du département d’anesthésie cardio-thoracique à l’hôpital universitaire St Luke, Bethlehem, Pennsylvanie.

Daniel Herman, MD, est directeur de la médecine périopératoire à l’hôpital universitaire St Luke, Bethlehem, Pennsylvanie.

Robert Gayner, MD, est chef du département de néphrologie et vice-président des affaires médicales et universitaires à l’hôpital universitaire St Luke, Bethlehem, Pennsylvanie.

Ajith Malige, MD, est interne en 5e année de troisième cycle du département d’orthopédie à l’hôpital universitaire St Luke, Bethlehem, Pennsylvanie.

Brian Banas est étudiant en médecine à la Geisinger Commonwealth School of Medicine, Scranton, Pennsylvanie.


Les auteurs ne signalent aucun conflit d’intérêts.


Documents de référence

  1. Kimmel LA, Wilson S, Janardan JD, et al. Incidence of acute kidney injury following total joint arthroplasty: a retrospective review by RIFLE criteria. Clin Kidney J. 2014;7:546–551.
  2. Kidney Disease: Improving Global Outcomes (KDIGO) Acute Kidney Injury Work Group: KDIGO clinical practice guideline for acute kidney injury. Kidney Int Suppl. 2012;1:le138.
  3. Luo X, Jiang L, Du B, et al. A comparison of different diagnostic criteria of acute kidney injury in critically ill patients. Crit Care. 2014;18:R144.
  4. Coca SG, Yusuf B, Shlipak MG, et al. Long-term risk of mortality and other adverse outcomes after acute kidney injury: a systemic review and meta-analysis. Am J Kidney Dis. 2009;53:961–973.
  5. Che1tow GM, Burdick E, Honour M, Bonventre N, Bates DW. Acute kidney injury, mortality, length of stay and costs in hospitalized patients. JAM Soc Nephrol. 2005;16:336570.
  6. Silver SA, Chertow GM. The economic consequences of acute kidney injury. Nephron. 2017;137:297-301.
  7. Lands VW, Malige A, Carmona A, et al. Reducing hypotension and acute kidney injury in the elective total joint arthroplasty population: a multi-disciplinary approach. J Arthroplasty. 2018;33:1686–1692.
  8. Bass AR, Rodriquez T, Hyun G, et al. Myocardial ischemia after hip and knee arthroplasty: incidence and risk factors. Int Orthop. 2015;39:2011–2016.
  9. Sessler D, Khanna A. Perioperative myocardial injury and the contribution of hypotension. Intens Care Med. 20l8;44:811–822.
  10. Futier E, Lefrant JY, Guinot PG, et al. Effect of individualized vs. standard blood pressure management strategies on postoperative organ dysfunction among high-risk patients undergoing major surgery: a randomized clinical trial. JAMA. 2017;318:1346–1357.
  11. Wu X, Jian Z, Ying J, et al. Optimal blood pressure decreases acute kidney injury after gastrointestinal surgery in elderly hypertensive patients: a randomized study: optimal blood pressure reduces acute kidney injury. J Clin Anesth. 2017;43:77–83.