Réduire les erreurs de fixation

Rafael Ortega, MD; Kunwal Nasrullah, BA

Bien que quasiment vingt ans se soient écoulés depuis la publication du rapport capital de l’ « Institute of Medicine » intitulé « To Err is Human » (l’erreur est humaine), les erreurs médicales continuent à être la cause principale de la morbidité et de la mortalité des patients.1 Les études ont permis d’estimer que l’erreur humaine représente 87 % de l’ensemble des erreurs médicales1,2, avec une prédominance variée, selon la spécialité et la situation clinique (inférieure à 5 % en radiologie et atteignant 10 à 15 % dans le cadre des soins de médecine d’urgence).2,3 Dans le domaine de l’anesthésie, il a été démontré que les erreurs humaines représentent jusqu’à 83 % des erreurs, les erreurs de fixation s’inscrivant parmi les principaux coupables.2-4 Les raisons pour lesquelles les erreurs humaines sont encore très importantes sont variées, mais incluent la complexité de l’environnement du bloc opératoire, la gravité des situations de crise et les facteurs psychophysiologiques spécifiques des individus et des équipes.2-4

Les erreurs de fixation sont un type d’erreur cognitive où les personnes et les équipes se concentrent sur un aspect d’une situation, sans tenir compte d’informations plus pertinentes.3-7 Ces erreurs ont été classées en trois types différents : a) les erreurs « ça et seulement ça » surviennent lorsqu’on envisage un seul diagnostic ou une seule solution à un problème, b) les erreurs « tout sauf ça » surviennent lorsqu’on n’envisage pas le bon diagnostic ou la bonne solution, et c) les erreurs « tout va bien » surviennent lorsqu’un problème n’est pas reconnu.4,6 Les cas 1 et 2 (figures A et B) représentent les situations de soin où différents types d’erreurs de fixation surviennent. Ces évènements ont encouragé les professionnels de santé de notre établissement à s’impliquer dans une démarche de transformation de la sécurité des patients, qui a permis la publication d’un outil éducatif innovant. Cet instrument d’enseignement est composé d’un ouvrage hybride, intitulé Ok to Proceed? What every health care provider should know about patient safety, (« Ce que chaque prestataire de santé doit savoir à propos de la sécurité des patients »), qui allie le texte sur papier au multimédia et étudie divers sujets relatifs à la sécurité des patients, y compris les erreurs de fixation.6 Dans cet article, nous nous intéressons aux erreurs de fixation et nous expliquons pourquoi les stratégies innovantes pour les résoudre sont si importantes pour la sécurité des patients.

Cas 1 :

Un garçon de huit ans a subi une appendicectomie.

Peu de temps après l’intervention, il a souffert d’une complication chirurgicale nécessitant une nutrition parentérale. En raison d’une série d’erreurs, un mélange contenant dix fois la concentration de potassium prescrite a été préparé et le patient a fait un arrêt cardiaque. Les mesures de réanimation vigoureuses ont échoué.

Figure A. Une infirmière vérifie la perfusion après avoir débuté la transfusion d’un soluté intraveineux. Toutefois, par inadvertance, il est administré à l’enfant une préparation contenant dix fois la concentration de potassium prescrite.<br /><br />Reproduit et modifié avec l’aimable autorisation des auteurs et du Boston Medical Center.

Figure A. Une infirmière vérifie la perfusion après avoir débuté la transfusion d’un soluté intraveineux. Toutefois, par inadvertance, il est administré à l’enfant une préparation contenant dix fois la concentration de potassium prescrite.

Reproduit et modifié avec l’aimable autorisation des auteurs et du Boston Medical Center.

Évaluation :

L’équipe de soins a fait une erreur de fixation du type « tout sauf ça » en n’envisageant pas l’hyperkaliémie comme cause de l’arrêt cardiaque du patient.

Cas 2 :

Un homme d’âge moyen en bonne santé s’est présenté pour une chirurgie stomatologique.

Pour cette procédure, le patient devait subir une intubation nasotrachéale. Après l’introduction de la sonde dans la trachée par laryngoscopie directe, la ventilation des poumons s’est avérée difficile. L’équipe pensait qu’un bronchospasme causait la résistance des voies aériennes. Fixée sur ce diagnostic, l’équipe n’a pas envisagé la possibilité que la sonde trachéale s’était éventuellement coudée dans la trachée ou d’autres causes d’une impossibilité de ventiler correctement. Le patient est décédé par anoxie.

Figure B. Une équipe du bloc opératoire fixée sur un bronchospasme comme cause d’une résistance des voies respiratoires avec une intubation nasotrachéale.<br /><br />Reproduit et modifié avec l’aimable autorisation des auteurs et du Boston Medical Center.

Figure B. Une équipe du bloc opératoire fixée sur un bronchospasme comme cause d’une résistance des voies respiratoires avec une intubation nasotrachéale.

Reproduit et modifié avec l’aimable autorisation des auteurs et du Boston Medical Center.

Évaluation :

L’équipe du bloc opératoire a été victime d’une erreur de fixation du type « ça et seulement ça » quand elle a conclu que le bronchospasme était la cause de la résistance des voies aériennes.

Globalement, les erreurs de fixation, également appelées erreurs « d’ancrage » ou « vision étriquée »2,4,5,7 peuvent être considérées comme des erreurs humaines de perspicacité. C’est pour cette raison qu’une grande partie des études relatives aux erreurs de fixation s’est intéressée aux domaines de la psychologie cognitive et à la sécurité de l’aviation.4,5 Les travaux de Fioratou et de ses collègues ont permis de comprendre comment l’expérience et les connaissances peuvent nous être nuisibles et entraîner des erreurs de fixation.5 En médecine, comme dans d’autres domaines, nous nous fions à notre expérience antérieure pour nous aider à aborder de nouvelles situations ; c’est ce qu’on appelle un apprentissage heuristique ou apprentissage fondé sur l’expérience. Dans les cas d’erreurs de fixation, nos expériences nous imposent des préjugés par rapport à la nouvelle situation et nous nous accrochons à une conclusion, même si nous possédons des informations allant dans le sens contraire.3-7,9 C’est comme si nous prenions ancrage sur une idée. Les raisons en sont variées mais sont notamment le biais de disponibilité (la tendance à surévaluer les exemples qui viennent facilement à l’esprit), les expériences antérieures, les raccourcis mentaux et la forte charge cognitive des environnements complexes (par ex. le bloc opératoire).1,4

Il est difficile, tant pour les étudiants que pour les anesthésistes aguerris d’identifier, puis de rectifier, une erreur de fixation en raison de la focalisation sur la formation heuristique. Il est donc très important d’encourager l’utilisation d’outils d’enseignement qui favorisent la réflexion « hors des sentiers battus » ou « latérale », qui s’est avérée capable de résoudre les erreurs de fixation.5,9-10 La stratégie la plus importante pour surmonter les erreurs de fixation est la sensibilisation.5,9,10 Elle est favorisée par des articles comme celui-ci, des ouvrages d’enseignement sur la sécurité des patients, du matériel didactique et la simulation.9 Les professionnels doivent être sensibilisés aux erreurs de fixation, en faisant des exercices où des erreurs de fixation sont survenues et en trouvant des solutions dans le cadre de séances de simulation. Par ce biais, les étudiants et les professionnels apprennent que les raccourcis et les conclusions évidentes peuvent être des failles entraînant des erreurs de fixation.5 Par conséquent, ils doivent employer des stratégies pouvant les aider à réduire ces erreurs. Ces stratégies sont présentées au tableau 1.5,9–11

Tableau 1. Stratégies pour surmonter les erreurs de fixation

Éliminer le scénario le plus défavorable
Accepter que la première hypothèse puisse ne pas être la bonne
Envisager les artéfacts comme la dernière explication d’un problème
Ne pas influencer l’opinion des membres de l’équipe par une conclusion antérieure

Demander un deuxième avis

Dans le cadre d’erreurs de fixation, le comportement axé sur les objectifs est limité.5 Dans ces cas, même les procédures par tâtonnement ou erreurs peuvent fournir des informations utiles5 et les participants devraient envisager de ne pas répéter les mêmes actions si elles produisent les mêmes résultats. Au contraire, ils devraient considérer la possibilité d’une erreur de fixation et modifier leur stratégie, en particulier s’ils sont confrontés à des résultats défavorables.

Pour éviter les erreurs médicales, il faut un raisonnement qui dépasse le domaine de la santé, et également la promotion de stratégies cognitives et éducatives innovantes, qui contrecarrent les erreurs cognitives, afin de créer des réseaux où règne un haut niveau de responsabilité.3,7,12 Notre établissement utilise cette approche et crée des programmes pour la sécurité des patients qui utilisent cet ouvrage comme alternative innovante pour relever ces défis complexes. Cet outil d’enseignement exploite le pouvoir des récits, du multimédia, des représentations graphiques et de l’animation numérique et est fondé sur de véritables erreurs médicales, engageant les acteurs à tous les niveaux des soins de santé. Enfin, nous nous sommes engagés à étudier l’impact de ces outils sur la compréhension par les prestataires des problèmes de sécurité des patients et en définitive, de leurs performances.

 

Le Dr Rafael Ortega est professeur d’anesthésiologie, président par intérim et doyen de Diversité et Inclusion à la Boston University School of Medicine. Il n’a aucune information d’ordre financier à communiquer.

Kunwal Nasrullah est étudiant en médecine à la Boston University School of Medicine et n’a aucune information d’ordre financier à communiquer.

DOCUMENTS DE RÉFÉRENCE

  1. Walsh T, Beatty PCW. Human factors error and patient monitoring. Physiological Measurement. 2002;23:111–132.
  2. Saposnik G, Redermeier D, Ruff CC, et al. Cognitive biases associated with medical decisions: a systematic review. BMC Medical Informatics and Decision Making. 2016;16:138.
  3. Stiegler MP, Neelankavil JP, Canales C, et al. Cognitive errors detected in anaesthesiolgy: a literature review and pilot study. British Journal of Anaesthesia. 2012;108:229–235.
  4. Chandran R, DeSousa KA. Human factors in anaesthetic crisis. World Journal of Anesthesiology. 2014;3:203–212.
  5. Fioratou E, Flin R, Glavin R. No simple fix for fixation errors: cognitive processes and their clinical applications. Anaesthesia. 2010;65:61–69.
  6. Ortega R. Fixation errors. In: Lewis K, Canelli C, Ortega R, eds. OK to proceed? What every health care provider should know about patient safety. 1st ed. Boston, MA: Boston Medical Center. 2018:64–69.
  7. Arnstein F. Catalogue of human error. British Journal of Anaesthesia. 1997;79:645–656.
  8. Lewis K, Canelli C, Ortega R, eds. OK to proceed? What every health care provider should know about patient safety. 1st ed. Boston, MA: Boston Medical Center; 2018.
  9. Brindley PG. Patient safety and acute care medicine: lessons for the future, insights from the past. Critical Care. 2010;14:217.
  10. Carne B, Kennedy M, Gray T. Review Article: Crisis resource management in emergency medicine. Emergency Medicine Australia. 2012;24:7–13.
  11. Rall M, Gaba DM. Human performance and patient safety. In: Miller RD, Eriksson LI, Fleisher LA, et al., eds. Miller’s Anesthesia. 7th ed. Philadelphia, PA: Churchill Livingston; 2010:93–149.
  12. Stiegler MP, Tung A. Cognitive processes in anesthesiology decision making. Anesthesiology. 2013;120:304–17.