Réussite de la stratégie internationale de mise en place des guides d’urgence (ou aides cognitives)

Kyle Sanchez et Jeffrey Huang, MD

Check-list pour les urgencesIl a été montré qu’un meilleur accès aux ressources et une dépendance moindre vis-à-vis des connaissances sont deux méthodes potentielles pour lutter contre les erreurs médicales.1 Les deux sont possibles grâce à l’utilisation d’aides cognitives, telles que les guides d’urgence.

Les guides d’urgence des blocs opératoires sont des documents en format papier ou numériques, contenant une série de directives établies médicalement, mises à jour, qui détaillent la manière dont les soignants doivent réagir à des évènements périopératoires critiques spécifiques.2,3 Il a été démontré que l’utilisation des aides cognitives par les soignants, en particulier les anesthésistes, pour guider leurs actes pendant des évènements critiques inhabituels permettait de réduire les erreurs et d’assurer une meilleure prise en charge.4 Ainsi, les soignants peuvent répondre aux crises de manière plus efficace,4 plus confiante5,6 et de manière collaborative5,6 avec l’aide des aides cognitives des blocs opératoires. D’autre part, l’utilisation des aides cognitives a permis de diviser par quatre la probabilité de non-respect des processus de soins essentiels pour la survie des patients.7

Le bénéfice de l’utilisation des aides cognitives est de plus en plus démontré continue à augmenter au fil du temps,8, mais la mise en œuvre proprement dite demeure compliquée. Certains problèmes précis associés à la mise en œuvre des guides d’urgence sont liés à la difficulté d’obtenir un consensus sur le contenu et le format des aides cognitives , à la résistance de la part des soignants qui préfèrent dépendre exclusivement de leurs propres compétences et expériences, de l’infaisabilité d’études idéales qui mesurent l’effet des aides cognitives sur les résultats d’une prise en charge et des préoccupations persistantes concernant les failles de l’utilisation des guides d’urgence, telles que la fixation sur un diagnostic incorrect.9

Atelier :

En 2015, l’Anesthesia Patient Safety Foundation (APSF) a parrainé un atelier intitulé Mise en œuvre et utilisation des aides cognitives pour améliorer la sécurité des patients, où les discussions parmi les participants ont conduit à des recommandations telles que le développement d’une forte présence médiatique des aides cognitives, l’inclusion de ces aides cognitives dans le time out chirurgical, la création d’un ouvrage éducatif de l’APSF sur l’utilisation des guides d’urgence et l’utilisation de la recherche pour concevoir un guide d’urgence suffisamment simple pour être utilisé sans formation.9

Entraînement par la simulation :

Il est signalé que l’absence de programmes de formation suffisants sur les aides cognitives serait l’obstacle principal à leur utilisation,5 et qu’il est donc fondamental de choisir une méthode efficace de formation des intervenants sur leur utilisation adaptée. La simulation est un outil qui permet de se former facilement sans faire courir de risques aux patients.10-12 Étant donné qu’il a été démontré qu’une formation par simulation était meilleure qu’une formation traditionnelle pour l’enseignement d’autres compétences techniques,10,13,14 l’efficacité de l’entraînement par la simulation sur l’utilisation des aides cognitives a fait l’objet d’études. La participation à des séances d’entraînement par la simulation a effectivement été associée à une plus grande utilisation des aides cognitives dans le cadre d’évènements critiques.4,5,10,15 D’autre part, il est probable que le lieu où se déroule l’entraînement par la simulation (bloc opératoire ou centre de simulation) n’ait aucune incidence sur la tendance du soignant à utiliser les aides cognitives dans le cadre d’évènements critiques futurs.10 Ainsi, la mise en œuvre des guides d’urgence pourrait être facilitée par la participation à des « concours » de simulation ou autres expériences éducatives pratiques.

Concours de simulation :

La « Simulation Wars » (guerre des simulations) a été créée en 2017 par la Société d’anesthésie de la ville de Zhongshan en Chine. Il s’agit d’un concours pour promouvoir l’entraînement par simulation.16 Il a été demandé aux hôpitaux participants de créer une vidéo faisant la démonstration de l’application des aides cognitives à un évènement critique lié à une anesthésie, en se concentrant tout particulièrement sur l’utilisation des compétences de gestion des ressources en situation de crise.9 Pendant le dernier tour du concours, chaque hôpital a réalisé une démonstration présentielle de la gestion de crise.16 En 2018, une étude réalisée par Huang et al. un an après le premier concours a permis de constater que l’utilisation des aides cognitives pendant de vrais évènements critiques avait considérablement augmenté à la suite du concours d’entraînement par simulation.15

Former le formateur :

Vu que de plus en plus d’hôpitaux adoptent l’entraînement par simulation, il est important de s’assurer que les instructeurs de la formation sur les aides cognitives sont compétents et capables d’organiser leurs propres ateliers, compte tenu en particulier du fait que de nombreux anesthésistes signalent ne pas participer aux entraînements de simulation parce que personne ne les organisait.5 Une formation de deux heures dédiée aux instructeurs de simulation pour les aides cognitives a été dispensée à l’occasion de la conférence annuelle de l’Association chinoise des anesthésistes. Elle a permis aux participants d’organiser leurs propres ateliers d’entraînement à la simulation pour les aides cognitives dans leur établissement.17

Ouvrages gratuits :

Lecture des manuels d’urgenceUn autre obstacle potentiel à la mise en œuvre des aides cognitives provient des ressources nécessaires et du coût de la distribution des aides cognitives dans chaque bloc opératoire d’un hôpital ou d’un système de santé. Étant donnée l’absence actuelle d’études sur l’utilisation des aides cognitives dans les blocs opératoires en Chine, des versions traduites d’aides cognitives ont été distribuées gratuitement aux services d’anesthésie de plusieurs hôpitaux chinois en 2018. Les cliniciens qui ont reçu les aides cognitives ont participé davantage aux formations de simulation pour les guides d’urgence, ont utilisé davantage les guides d’urgence dans des situations critiques, procédant eux-mêmes à l’évaluation des guides d’urgence et réalisant des études de groupe à ce sujet, par rapport à des anesthésistes qui n’avaient pas reçu les ouvrages gratuits.5 Bien que la distribution gratuite d’aides cognitives ne suffise pas à provoquer une mise en œuvre à grande échelle,18 la gratuité des ouvrages peut renforcer la mise en œuvre des aides cognitives et leur utilisation pendant des évènements critiques,5 tout particulièrement en y associant un entraînement par simulation et d’autres méthodes permettant une plus grande mise en œuvre.

Emplacement des guides :

Actuellement, il n’existe aucun protocole standard pour l’utilisation des aides cognitives, malgré leur utilisation généralisée. Les preuves qui démontrent leurs avantages quand ils sont utilisés pendant des évènements critiques sont nombreuses, tout comme les efforts nationaux et internationaux pour renforcer leur mise en œuvre. Un obstacle à l’utilisation des aides cognitives pourrait être que les évènements surviennent trop rapidement au bloc opératoire.5 Cet obstacle peut être surmonté en développant un ensemble de consignes pratiques concernant l’accès, la manipulation et l’utilisation rapides des aides cognitives dans le cadre de la pratique quotidienne courante. Un protocole standard serait tout particulièrement utile pour les soignants qui ont peu l’habitude d’utiliser les aides cognitives et qui sont impliqués dans un évènement critique. L’emplacement à privilégier pour les aides cognitives pendant des évènements critiques est le poste d’anesthésie dans le bloc opératoire,6 ce qui correspond à la recommandation du groupe des guides d’urgence de l’Université de Stanford.2 Cet emplacement réduirait le temps passé à récupérer l’aide cognitive et faciliterait ainsi le développement d’un protocole standard, permettant à tous les soignants d’utiliser rapidement et efficacement un guide d’urgence dans une situation critique.

Le rôle du lecteur :

Le lecteur de l’aide cognitive qui doit être privilégié dans le cadre d’évènements critiques est le soignant le plus expérimenté,6, ce qui suggère que le membre qui dirige l’équipe doit assumer le rôle de lecteur. La distinction entre lecteur et leader est critique, car le lecteur de l’aide cognitive assume provisoirement le rôle de lecteur sans réelle responsabilité vis-à-vis du résultat clinique. En donnant le rôle de lecteur à l’anesthésiste le plus expérimenté, tout effet de l’utilisation de l’aide cognitive sur le résultat clinique (qu’il soit positif ou négatif) sera attribué au lecteur. Il faudra réaliser d’autres études afin de déterminer si l’emplacement et le lecteur privilégiés des aides cognitives ont une incidence significative sur les résultats cliniques. En outre, d’autres paramètres liés à l’utilisation des aides cognitives devront être identifiés, explorés et normalisés pour dresser un tableau plus complet. Nous proposons que l’étape suivante pour intensifier la mise en œuvre des aides cognitives pourrait être le développement d’un protocole standard sur leur utilisation.

Aides cognitives en format papier ou en format électronique :

Il est difficile de déterminer quel est le format le plus efficace pour les aides cognitives dans le cadre de la création d’un protocole standard d’utilisation. L’utilisation de aides cognitives d’urgence en format papier par rapport au format numérique présente de nombreux avantages et inconvénients potentiels. Le format papier présente l’avantage de la familiarité parmi tous les soignants, de l’indépendance par rapport aux plateformes électroniques ou au Wi-Fi et la modification simplifiée par le remplacement ou l’ajout de pages. Cependant, le format papier présente certains inconvénients, notamment la nécessité d’occuper un espace dans le bloc opératoire et la tendance à les égarer.19 En revanche, les guides d’urgence électroniques peuvent faciliter l’interaction entre l’utilisateur et le guide d’urgence, permettre une réponse plus spécifique au patient grâce à la saisie de ses données, et permettre un processus décisionnel basé sur le temps écoulé.19 Les aides cognitives électroniques présentent des inconvénients, notamment la difficulté de navigation ou de manipulation de l’application, la taille limitée de l’écran et le risque évident d’un dysfonctionnement technologique. Malgré les avantages et les inconvénients envisagés de ces formats, il est probable que le mode de fourniture des aides cognitives (que ce soit sous format papier ou sous format électronique) n’ait pas d’effet sur les performances du clinicien ni sur les résultats cliniques.19 En outre, il est également probable que le respect de l’utilisation des guides d’urgence et d’autres aides cognitives de la part du clinicien ne soit pas non plus affecté par le format.19

En conclusion, l’utilisation de l’entraînement par la stimulation faisait partie des premières méthodes qui ont fait leurs preuves pour faciliter la mise en œuvre et l’utilisation des aides cognitives.4,5,10,15,16 La fourniture d’une formation formelle dédiée aux instructeurs de simulation pour les aides cognitives peut encourager la croissance et l’efficacité des programmes de simulation consacrée aux guides d’urgence.17 La distribution gratuite des guides d’urgence peut permettre d’améliorer la mise en œuvre.5 Un protocole standard et universel pour l’utilisation des aides cognitives, précisant le lieu où il sont placés et le rôle du lecteur,6 est critique pour soutenir le développement et la mise en œuvre des guides d’urgence dans le monde entier.

 

Kyle Sanchez est étudiant en quatrième année à la faculté de médecine de l’University of Central Florida, à Orlando, Floride.

Le Dr. Jeffrey Huang est directeur du programme responsable de l’enseignement d’anesthésie du troisième cycle de la faculté de médecine HCA Healthcare/USF Morsani à Oak Hill Hospital, à Brooksville, Floride, professeur à la faculté de médecine USF Morsani et professeur à la faculté de médecine de l’University of Central Florida. Il siège au comité de l’APSF pour l’éducation et la formation.


Les auteurs ne signalent aucun conflit d’intérêts en lien avec cet article.


Documents de référence

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